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Podcasts et presse écrite : comment les financer et gagner de l’argent ?

01/03/2019 - Un oeil sur les médias

Par Maëlle Fouquenet, journaliste responsable des formations numériques ESJPRO. Article original sur Medium

 

Créer des podcasts, d’accord, mais comment faire pour qu’ils rapportent de l’argent ? C’est la question qui arrive très rapidement quand on évoque les projets audio de la presse écrite.

 

 

 

 

En trouvant un nouveau public et de nouvelles audiences, le podcast de la presse écrite doit ouvrir de nouveaux marchés aux régies publicitaires des journaux et offrir de nouveaux inventaires aux éventuels annonceurs.

D’abord constituer une audience

Si la monétisation du podcast “de replay” (émissions déjà diffusées sur les antennes radio et accessibles en podcast) est en plein boum, celle du podcast “natif” (créations originales) reste plus confidentielle. A cela une raison simple, l’audience de ces podcasts natifs demeure encore assez restreinte, indiquait Chérifa Afiri, responsable France de la régie Targetspot France, lors du Festival Paris Podcast fin 2018.

A titre d’échelle, France Culture affichait plus de 22 millions de podcaststéléchargés par mois lors du festival Paris Podcasts en octobre 2018. Chez Radio France, le podcast natif représente 2 à 5 % des téléchargements mensuels par exemple. Or la presse écrite produit par nature des podcasts natifs. Leur monétisation reste logiquement balbutiante pour le moment.

Ceci dit, les consommateurs de podcasts se révèlent plutôt captifs et fidèles. De plus, selon Médiamétrie 81 % des podcasts téléchargés sont écoutés et très peu d’auditeurs passent la publicité de début de podcast (le fameux pré-roll). Jérôme Cazadieu, le directeur de la rédaction de L’Equipe, abonde : « 90% de écoutes se font sur l’intégralité du podcast, c’est très intéressant. » Des signaux très séduisants pour les annonceurs.

Première étape donc pour la presse écrite : constituer une audience avec une offre de contenus pertinente. « On commence tout juste à être interrogé par des annonceurs », indique Jérôme Cazadieu. Même son de cloche chez Ouest France, où Edouard Reis Carona, rédacteur en chef délégué au numérique et innovation, veut d’abord « positionner le produit, trouver l’audience, et ensuite voir comment monétiser ».

Puis monétiser

Seconde étape donc : monétiser. Pour ce faire, plusieurs options sont déjà explorées : la publicité au CPM, le sponsoring, l’offre payante et le brand content. Certaines plus adaptées que d’autres aux médias de presse écrite.

La publicité “classique”, pas forcément adaptée

Le CPM (coût pour mille écoutes) se situe entre 15 et 20€ pour la publicité classique (spot de 30 secondes en pré-roll), et monte jusqu’à 50 voire 100€ pour les opérations spéciales. Question : cette forme de commercialisation convient-elle à la presse écrite, et particulièrement à la presse régionale, dont l’audience n’atteindra jamais les scores des podcasts des radios nationales ?

Ce sujet nécessite une véritable réflexion stratégique de la part des médias. En effet, ceux-ci n’ont pas d’audience déjà constituée pour commercialiser des espaces publicitaires dans leurs contenus audio (à l’exception notable de Ouest France qui possède trois radios locales à 100%, un inventaire radio et des régies spécialisées).

Le sponsoring, une piste à creuser

Au Temps une réponse émerge : la deuxième saison de “Brise Glace” a trouvéun annonceur sponsor pour plusieurs épisodes. Les annonceurs se montrent extrêmement attentifs au contexte dans lesquels sont placés leurs messages publicitaires : ton, affinité avec le sujet traité, mode de traitement… Les services commerciaux des journaux vendent déjà des opérations spéciales, ils peuvent ajouter ce nouveau support à leur offre, à condition de la travailler avec ses spécificités.

Challenges adopte une approche un peu différente du partenariat en lançant un projet de podcasts seulement après avoir trouvé l’annonceur. Cette démarche permet de passer outre l’obligation de constituer une audience et de s’appuyer sur la force la marque média. Les podcasts déjà en ligne ont été réalisés comme pilotes pour des démonstrations du système AEX de Renault au dernier salon de l’auto. Ils ont été financés en amont par Renault (qui possède 40% du groupe Challenges).

Les prochains lancements de podcasts auront lieu au printemps 2019 avec des thèmes « en adéquation avec les attentes des partenaires ». Est-ce du brand content ? Non, répond Frédéric Sitterlé, chargé de l’adaptation éditoriale sur les voitures connectés pour le groupe Challenges. « Le journaliste garde la maîtrise totale, l’annonceur n’intervient jamais éditorialement. Ils ont compris qu’ils avaient plus à gagner dans ce type de partenariat que dans du publi-reportage. »

Combien ça rapporte ? « entre 20 000 et 100 000 € pour une saison » de huit à douze épisodes (20 minutes chacun environ). Tout dépend ensuite de la complexité du produit (un narrateur simple, une interview à deux en studio, ou un produit intégrant des archives, des sons d’ambiance, etc). Le coût intègre également une mise en avant du podcast sur les supports print du groupe.

Autre forme de partenariat, celui des plateformes de diffusion. La plateforme Audible (qui appartient à Amazon) avait déjà noué des partenariats (soutien financier contre courtes annonces en début de programmes) avec Slate.fr, Louie Media ou Nouvelles Ecoutes.

Le partenariat avec Audible peut porter sur un épisode, plusieurs, ou toute une saison. S’il n’y a pas d’exclusivité de distribution (les podcasts peuvent être mis en ligne ailleurs), la plateforme demande à être le seul annonceur dans le cas d’un sponsoring de saison complète. C’est par exemple le partenariat noué pour “Entre”, de Louie Média.

Dans ce schéma de partenariat pour une saison complète, Audible a sponsorisé un projet d’enquête audio sur un fait-divers qui s’est déroulé dans les années 90 en Haute-Garonne. La série, intitulée “1000 degrés”, sortira au printemps 2019. Le sponsoring permet dans ce cas de financer les coûts de production contre un placement de publicité dans chaque épisode de la série.

Pour négocier un financement, Audible s’attache à la qualité du produit (qualité du son, de la voix, de la narration) en jugeant de ces critères l’écoute de maquettes. Côté thématique, la fiction audio et les polars séduisent beaucoup les auditeurs. Si plusieurs médias de PQR ont en tête des projets portant sur des faits-divers, ils ont peut-être une carte à jouer, à condition de bien réfléchir et bien réaliser leur produit podcast.

Anchor, plateforme de distribution très utilisée et rachetée par Spotify en février, a lancé fin 2018 son programme “Anchor Sponsorships” (uniquement aux Etats-Unis pour le moment). Celui-ci soumet des annonceurs potentiels aux créateurs de podcasts. S’ils acceptent le sponsor, ces derniers doivent enregistrer et intégrer la publicité dans leur voix (ou un message pré-enregistré) dans leur podcast. Anchor prend 30% de la rémunération gagnée.

Les plateformes audio (dont Spotify, Deezer) courent après les contenus de qualité. Il y a là certainement une piste à exploiter par les médias et une place pour négocier des partenariats financiers.

 

L’offre payante

La première expérience d’offre podcasts payante, Boxsons, a été mise en suspens par manque d’abonnés. Pourtant elle a défriché un territoire totalement inexploré. D’ailleurs Audible permet maintenant aux créateurs de podcasts de les vendre sur sa plateforme.

L’offre payante peut se concevoir sous forme de paiement à l’acte ou d’abonnement, inclus ou en option dans un abonnement plus global. On peut imaginer une offre couplée print+web+podcasts ou juste web+podcasts par exemple. La vente directe permet de conserver le lien avec le client et de récolter (avec son consentement) des données qui serviront ensuite aux services marketing et commerciaux.

Dans la perspective du payant, il sera intéressant de suivre Majelan, le projet de plateforme de podcasts sur abonnement que lance l’ancien président de Radio France Matthieu Galet. Déjà lancée, l’offre de contenus audio Sybel se fonctionne avec un abonnement payant mensuel. Sa fondatrice prévoyait fin 2018 d’acheter et co-produire des productions, notamment avec Louie Média. Pourquoi pas avec des médias de presse écrite également ?

Le brand content

Cette option correspond plus au savoir-faire des sociétés de production spécialisées type BingeLouie Média ou Nouvelles Ecoutes car elle nécessite des moyens de production spécifiques au son (studio, matériel, compétences techniques).

Le crowdfunding

Patreon et Tipee sont des plateformes de financement participatif sur lesquelles les particuliers soutiennent financièrement des créateurs. Leur versement est mensuel. Les créateurs de contenus, eux, sont invités à déterminer une somme mensuelle dont ils ont besoin et fixent des contre-parties.

Si techniquement cela semble intéressant car très simple à mettre en place, on créé un filtre entre le consommateur et le média, avec le risque de perdre les données clients.

Les chiffres d’audience, nerf de la guerre

Pour valoriser les audiences, il reste un gros point noir à supprimer : se mettre d’accord sur un outil de mesure clair pour mesurer les performances des podcasts de replay et podcasts natifs.

Annoncé au salon de la radio en janvier dernier, l’outil eStat Podcasts devrait mesurer le nombre de téléchargements en agrégeant les chiffres des différentes plateformes de diffusion et les différents supports. En revanche, pas d’info particulière pour ce qui est du nombre d’écoutes, ni leur durée…

Dernier point à prendre en compte : la formation des équipes commerciales qui ne savent pas forcément vendre ce type de formats.

Deux autres articles sur les podcasts et la presse écrite sont à lire par ici :
– Podcasts et presse écrite : 6 bonnes raisons d’y aller
Podcasts et presse écrite : pensez-les d’abord comme un produit

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