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« La guerre des filles » : Mylène Sauloy, une réalisatrice de combat

Extrait du documentaire "La guerre des filles" © Mylène Sauloy / Magneto Presse

17/05/2016 - Un oeil sur les médias

Jeudi 12 mai, la réalisatrice Mylène Sauloy projetait son documentaire « Kurdistan, la guerre des filles », à ESJ Pro Montpellier. Cinquante deux minutes pour raconter, en immersion, l’histoire d’un mouvement de femmes combattantes né au Kurdistan turc il y a tout juste quarante ans.

 

Suite à l’assassinat de trois militantes kurdes du PKK à Paris, en 2013, Mylène Sauloy décide de boucler son documentaire en suspend sur ces « amazones post-modernes ». Depuis dix ans, elle gardait précieusement des images tournées dans des camps de d’entraînement des femmes militantes des montagnes du Qandil, au nord de l’Irak. Elle repart donc une nouvelle fois, fin 2015 en Irak et Syrie, pour retrouver ces femmes en treillis.

 

Diffusé sur Arte à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, ce documentaire « résolument optimiste » permet de comprendre, sur le temps long, le mouvement de ces femmes, parties combattre Daech, mais aussi la société patriarcale dans laquelle elles tentent de s’imposer, avec pour seule revendication la liberté.

 

 
Pourquoi avoir choisi de réaliser un documentaire sur l’histoire de ces combattantes kurdes ?

 

Partie filmer en 2003 le PKK en Irak pour Arte Info, j’ai découvert ce camp de femmes combattantes du Qandil. Etonnant ! Des centaines de femmes s’y formaient politiquement, idéologiquement, culturellement, militairement… J’ai gardé ces rushs pendant des années. Mais après la victoire de Kobané (en janvier 2015, ndlr), les médias nous ont montrés des jolies petites nanas en armes avec leurs beaux sourires. Sans contexte historique, comme si tout ça était tombé du ciel. Alors, je me suis dit qu’il fallait raconter cette histoire pour montrer qu’un mouvement comme celui-là s’est construit dans le temps…

 

Comment avez-vous réussi à rentrer dans le Rojava (Kurdistan syrien) ?

 

C’est très compliqué d’aller en Rojava. La région est complètement verrouillée. Barzani, le président de la région autonome du Kurdistan d’Irak, contrôle la frontière. Les conflits entre le PKK et les forces du gouvernement de Barzani ont fait de nombreux morts. De la Turquie en Syrie, c’est assez simple, on peut passer. En revanche, de la Turquie au Kurdistan syrien, c’est plus compliqué. Les turques contrôlent le passage et cela fait un bon moment qu’il est quasiment impossible de circuler. Barzani contrôle l’entrée par l’Irak qui se fait par un fleuve. Il y a une barge, et il faut demander l’autorisation, des mois avant, pour pouvoir traverser. Il faut envoyer de nombreux papiers, et très peu de gens peuvent finalement passer. C’est une véritable bataille de patience. D’autant qu’on a le droit de rentrer qu’une seule fois. Au moment du passage, il y a un contrôle strict… On a dû trouver de bons contacts dans le milieu kurde, des gens qui ont de relations avec le gouvernement de Barzani. Ce qui n’est pas simple.

 

Cela a-t-il été compliqué sur place, en tant que femme ? Ne vous êtes-vous pas sentie en danger à certains moments ?

 

Non, au contraire. Une fois que nous les avions rejoints, on ne craignait plus rien. Dans une société traditionnellement patriarcale, les seuls hommes autorisés dans les camps étaient des hommes qui adhéraient au mouvement, ceux qui venaient se former par exemple. Ensuite, c’est bien plus facile de faire un film sur les femmes quand on est une femme, surtout dans un mouvement comme celui là. Ça ouvre des portes, ça permet de créer des complicités. Bien sûr, il y a des choses qui ne se disent pas devant la caméra. Nous avions une certaine proximité avec les commandantes. Je rentrais dans leur chambre le soir, et nous discutions. Parfois, pendant l’hiver, je leur demandais : « Mais, l’hiver sans mec, c’est pas un peu dur quand même ? » (rires). Même entre femmes, il y a des choses qui ne se disent pas, notamment quand il y a une caméra. Des choses trop dures à dire. Sur le reste, c’est la guerre. C’est la même chose d’être un homme ou une femme, il faut courir et se planquer quand ça tire.

 

Propos recueillis par Marie-Stéphanie Servos

 

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