13/11/2017 - Un oeil sur les médias
Par Maëlle Fouquenet,
journaliste responsable des formations numériques ESJPRO
Si ce qu’on appelle communément “fake news” se propagent très rapidement, c’est que derrière un mème un peu bébète et faussement ironique, se cache parfois une organisation très bien huilée et qui dépasse le partage d’un simple photo-montage. Ainsi, aux Etats-Unis, les dirigeants de Facebook, Google et Twitter répondent à une commission spéciale du Sénat américain sur l’influence de la Russie sur leurs plateformes lors de l’élection présidentielle de 2016.
Selon le rapport de Samantha Bradshaw et Philip N. Howard, de l’université d’Oxford, qui ont étudié les pratiques des gouvernements, organisations et groupuscules politiques dans la diffusion des fake news, cinq techniques sont régulièrement et principalement employées pour troller en masse et générer des partages :
- commenter sur les posts, de préférence avec une charge émotive pour générer des réactions
– dans une dynamique positive pour soutenir les posts pro-gouvernementaux qui renforcent une idéologie, un discours, une position
– dans une dynamique négative, via le harcèlement, pour discréditer, effrayer
– de manière neutre pour détourner l’attention - cibler des individus ou groupes par des campagnes de harcèlement en ligne
– discours haineux, discriminatoire, diffamant et insultant, allant jusqu’aux menaces “IRL”
– notamment pendant ou juste avant des élections, prises de décisions
– avec pour objectif de dissuader le public de participer aux débats politiques et de protester en ligne - la création de comptes, pages et applications
– avec pour objectif de fournir du contenu que les supporters peuvent partager, pour galvaniser les troupes
> en Equateur, le gouvernement a créé un site qui envoie des notifications aux abonnés quand une personne critique en ligne ses actions, ce qui les transforme en cible pour des actions collectives de supporters du gouvernement
– des comptes créés par des activistes rémunérés pour diffuser certains contenus - la création de comptes alimentés par des robots
– ces bots sont majoritairement automatisés, mais au fur et à mesure que les plateformes modifient leur politique et suppriment les faux comptes, des humains en reprennent le contrôle
– leur but est de submerger les réseaux sociaux de spam et fake news ; d’amplifier des voix et idées marginales ; créer artificiellement de la popularité - la création de contenus
– des vidéos youtube, des mèmes, des histoires fausses, des posts de blogs…
– avec pour objectif de promouvoir un agenda
Chacun pays son style
Les pays utilisent ces méthodes, ce n’est pas nouveau et ce n’est qu’une adaptation aux nouvelles technologies et plateformes. Mais chacun avec son style.
Ainsi, la Russie envoie des messages plus ou moins faux, parfois totalement faux, en masse. Il s’agit d’introduire un doute et discréditer l’information véritable en la rendant difficile à identifier et énormément contredite. Cette désinformation passe par des canaux divers et nombreux afin de multiplier les sources chez les publics touchés (la multiplication des sources tend à crédibiliser l’information même si elle est fausse) et augmenter l’audience des messages tout en gagnant de nouveaux publics. Le but n’est pas de réfuter une information, mais d’atteindre le public en premier avec une information “alternative”.
La Chine, elle, procède différemment en émettant un volume d’informations et de messages énorme pour détourner l’attention et les conversations. Cette technique, qualifié de “propagande de cheerleaders” noie les autres sujets que ceux voulus par le gouvernement.
Le kit du trolling pour les nuls
Les gouvernements ne sont pas les seuls à utiliser le trolling de masse. Comme l’a montré Buzzfeed, à une échelle différente, des groupuscules (ici proche de l’extrême droite américaine) s’organisent dans des chatrooms privées, utilisent des outils gratuits en ligne, de façon plus ou moins “artisanale”, proposent des gabarits de mèmes sur lesquels il suffit d’ajouter des slogans. Ils indiquent la marche à suivre pour créer des faux comptes sans se faire repérer trop vite… Tout est fait pour qu‘il soit facile de participer à la campagne en ligne. On pourrait appeler ça “le trolling pour les nuls”.
Le but de ces groupuscules est d’infiltrer les commentaires des pages Facebook et publier un maximum de mèmes qui seront ensuite partagés afin d’influer sur l’opinion publique (dans l’exemple Buzzfeed, sur les Français). Ils vont jusqu’à coordonner les lancements de leurs campagnes dans les pays ciblés pour en optimiser l’efficacité.
Derrière les outils simples et une méthode qui semble plutôt artisanale, on constate une organisation très optimisée. La mécanique est similaire le cas dans le harcèlement en ligne type Gamergate ou celui de Nadia Daam. Comme le souligne Jonathan Stray, toutes les opérations de propagande nécessitent de l’organisation et de la coordination.