13/11/2017 - Un oeil sur les médias
Par Maëlle Fouquenet,
journaliste responsable des formations numériques ESJPRO
La recette de la montée en puissance des fake news est relativement simple de prime abord : une masse de fausses informations générées en grande partie par des bots dans un temps réduit, des contenus plus ou moins erronés ou mensongés, et une circulation très accélérée par les réseaux sociaux. Le tout dans un contexte de défiance généralisée envers les médias et les institutions. A cela s’ajoute la dimension économique des fake news qui rapportent de l’argent à ces producteurs qui en ont fait une industrie.
De quoi parle-t-on exactement ?
Derrière ce terme générique de “fake news”, on dénombre des contenus de natures diverses : manipulé, fabriqué de toute pièce, tronqué ou volontairement recontextualisé, parodique, “appeau à clics”.
Pourquoi partage-t-on des fake news ?
En partie parce qu’on a une capacité d’attention limitée alors qu’on fait face à une masse toujours plus importante d’informations, répond une étude de Diego F. M. Oliveira, chercheur à l’université d’Indiana et de Northwestern. Son équipe a utilisé les modèles d’analyses en épidémiologie pour comprendre comment se répandent les fake news, et particulièrement les mèmes internet. Il met en lumière que notre attention limitée nous rend moins “regardant” sur ce que nous partageons, la faible qualité d’un contenu n’ayant pas de conséquence négative sur son partage.
De plus, le public s’informe de plus en plus via les réseaux sociaux (51% des adultes Américains s’informent sur les réseaux sociaux, 38% en France), sur smartphones (55% des Américains), et particulièrement sur Facebook (source : Digitial News Report 2017). Or, les réseaux sociaux sont un des vecteurs privilégiés par les auteurs d’informations bidonnées.
A cela s’ajoute que sur ces plateformes, tous les contenus se ressemblent. Aucune distinction graphique des posts n’est possible entre le contenu d’un site parodique et celui d’un site de média classique.
Autre point important, les auteurs de fake news “jouent” avec les algorithmes de ces plateformes, utilisent les formats qui circulent le mieux(images, vidéos, mèmes). Ces contenus sont largement mis en avant par les algorithmes des plateformes, ce qui augmente la probabilité de leur partage. Or, 54% des Américains préfèrent la curation algorithmique plutôt que celle des journalistes. Un chiffres qui monte à 58% pour les utilisateurs assidus de smartphones, et 64% des moins de 35 ans.
Par ailleurs, les personnes accordent plus de valeurs à qui — quel ami — partage l’information plutôt qu’à qui — quel média — la produit à l’origine. Cette confiance génère facilement le partage, que l’information soit fausse ou pas (Media insight project).
L’identité de l’ami qui partage et le degré de confiance dont il jouit a même un impact positif sur la marque à l’origine du post. Cela influence le fait de s’abonner à cette marque ensuite, d’interagir avec elle. Les fans d’une marque — y compris des marques médias — sur Facebook en sont les ambassadeurs informels très influents auprès de leurs communautés.
Pour ce qui est des ressorts individuels, Lisa Charlotte Rost, data designer met en avant plusieurs éléments :
- une affirmation d’appartenance à un groupe, une tribu (famille, amis, forum…) comme marqueur social
- un besoin de reconnaissance par les pairs et du soutien social du groupe (peu importe si on croit à ce qu’on partage et si on le comprend, ce qui compte c’est montrer qu’on est un bon membre du groupe pour avoir son soutien)
- une difficulté à sortir des croyances du groupe (une remise en cause d’une croyance signifie la remise en cause de toutes les croyances du groupe et de ceux qui nous les ont transmis, dont la famille et les amis)
- la trouvaille à coup sûr d’informations (vraies ou fausses) pour étayer sa croyance
- un scepticisme naturel aux informations qui nous déplaisent
- une étroitesse d’esprit
- des failles dans les discours officiels
La faute aussi aux médias
Cet océan de fausses nouvelles bénéficie de plus du contexte économique très difficile des médias, dont les rédactions sont parfois mises sous pression pour réagir très — trop — rapidement aux contenus qui circulent sur les réseaux sociaux. Ceci accentue le risque de reprises de fausses informations et donc leur diffusion.
S’ajoute le phénomène de recopie des médias les uns sur les autres (64% du contenu publié en ligne par les médias est un copié-collé) avec une vitesse de reprise fulgurante qui ne permet pas ou peu la vérification.
A qui profitent les fake news ?
Des pays ont recours à ces “techniques” des fake news et trolling de masse, tout comme des groupes de pression et des organisations politiques. Le but est généralement d’influer sur l’opinion publique, parfois de lancer des campagnes de harcèlement en ligne envers un individu ou un groupe.
Lors de son intervention à Re:Publica, à Berlin en mai dernier, Garry Kasparova souligné le glissement de la propagande russe “old school” (le journal officiel du Parti diffuse l’information officielle) au raz-de-marée des fake news disséminées sur diverses plateformes. Raz-de-marée dont le seul but est de noyer l’information vraie dans un océan de rumeurs et fausses nouvelles pour la rendre extrêmement difficile à trouver et à reconnaître pour le public. Pour Claire Wardle, de First Draft, les fake news représentent “une sape de fond et sont en réalité des campagnes de désinformation à grande échelle”.
De quelle masse de fausses informations parle-t-on ?
Difficile à évaluer mais Google a annoncé qu’environ 0,25% du trafic de résultats des recherches quotidiennes dirigeaient vers des informations volontairement fausses. Si 0,25% parait peu, ce chiffre s’applique à 90% des recherches effectuées dans le monde (part de marché estimé de Google). Sachant que Google répond à plus de 5,5 milliards de recherches quotidiennes, cela correspond à 13,7 millions de renvois environ