01/03/2019 - Un oeil sur les médias
Par Maëlle Fouquenet, journaliste responsable des formations numériques ESJPRO. Article original sur Medium
Tous les journaux ou presque se sont essayés au podcast en 2018, certains avec des projets clairs, d’autres en tâtonnant. Voici quelques pistes pour concevoir un podcast le plus réfléchi possible avant de se lancer.
Comment démarrent les projets de podcasts ?
Dans plusieurs journaux, les projets de podcast naissent d’initiatives personnelles de journalistes férus de sons. Souvent déjà formés à l’audio lors de leurs études, ces journalistes ont pour certains utilisé leur propre matériel d’enregistrement (type Zoom H4 ou H5, micro et casque personnel). Ils ont assuré eux-mêmes le montage et le mixage et ont proposé un numéro zéro à leur rédaction en chef. C’est le cas notamment de “BOM” aux Echos. La série “Y a plus de saisons”, à L’Yonne Républicaine, a été validé par la rédaction en chef sur proposition d’un projet détaillé du journaliste avant sa réalisation. Ces premiers essais ne sont généralement pas ou peu formatés.
La captation et le mixage peuvent aussi être réalisés avec des moyens vidéos quand le journal possède un studio vidéo, comme c’est le cas pour “Déclics” de Nice Matin, “Tech off” des Echos ou le flash quotidien du Télégramme.
Dans d’autres médias, la direction a proposé un premier projet. C’est le cas de “Crunch”, podcast hebdomadaire consacré au rugby de L’Equipe, qui existe depuis septembre 2017 et qui a été décliné depuis sur le basket (“Time out”) et sur le golf (“Swing”).
Enregistrement de Crunch (L’Equipe) animé par la journaliste Chrystelle Bonnet
Pour assurer le démarrage du projet dans de bonnes conditions, la direction a fait appel aux conseils éditoriaux (formats, contenus, durée, façon de gérer la parole, animer un plateau…) et à la production de Binge Audio. « Tout cela va être internalisé au cours de l’année 2019 », explique Jérôme Cazadieu, le directeur de la rédaction du quotidien sportif.
Sud Ouest vient de sortir “Footcast” à propos des Girondins de Bordeaux. « Le choix des thèmes de nos podcasts (Les Girondins, et à venir le rugby et le vin) s’est fait naturellement », indique Sébastien Marraud, « on a des spécialistes de ces sujets dans la rédaction ». C’est la journaliste vidéo qui prend en charge la réalisation et production de ce podcast, avec à disposition le studio télé, des Zoom H4 et Audacity pour le montage.
A L’Avenir, la direction souhaitait un long format pour décliner les 100 ans du journal. Arnaud Wéry, journaliste au weblab, a proposé “L’Avenir raconte”, une série de podcasts tirés d’un livre d’un journaliste de la rédaction. Ce dernier avait déjà fait de la radio. Pour ce projet aussi, les moyens techniques du studio télé ont été mis à contribution.
Chez Ouest-France, les journalistes sont invités à réfléchir à des contenus audio pour créer une offre de podcasts natifs forte.
Dans de rare cas, un-e pigiste externe a proposé le projet, comme pour “Ecoutez mon rhum”, une série consacrée à la course La Route du Rhum et diffusée par Le Télégramme. Ce sera aussi le cas d’une série sur le sport féminin prévue au Temps courant 2019.
Penser produit pour réussir son podcast
Le podcast en presse écrite, et surtout en presse régionale (où j’en ai dénombré 34 tous formats confondus, ce chiffre évolue rapidement), est encore assez peu appréhendé comme un produit. Dans leur approche “test & learn”, les médias doivent passer le cap de l’expérimentation pure pourenvisager le podcast comme objet éditorial et se démarquer des podcasts de radio qui sont majoritairement du replay. Il s’agit aussi pour les titres de PQR de ne pas faire la même chose que France Bleu (de moindre qualité qui plus est).
Ce qui signifie imaginer des produits éditoriaux sonores différents, uniques, bien produits, et donc à forte valeur ajoutée. Cela passe par :
- définir une ligne éditoriale (exemple : « s’attaquer à des tabous qui pèsent sur la société et gagneraient à être mieux traiter pour être mieux compris et déconstruits » explique la journaliste Célia Héron en charge de “Brise Glace”, podcast du Temps)
- définir une cible et des objectifs clairs (exemple : atteindre un public jeune avec la rencontre rappeurs/footballeurs pour L’Equipe, objectif : acquisition)
- s’appuyer sur la force de la marque média
- choisir un terminal (si on cible un public en mobilité, ce sera le smartphone) et vérifier l’expérience utilisateur (si le podcast est mis en ligne sur Soundcloud, est-ce que mon appli intègre correctement cette plateforme ? Est-ce que ça fonctionne bien et facilement en un clic ou est-ce compliqué car il faut ouvrir trois liens et deux appli avant d’atteindre le podcast ? Comment rendre le processus fluide et rapide ? Si l’expérience n’est pas simple et fluide, les auditeurs ne reviennent pas.)
- définir un ton
- choisir un format, une durée, une fréquence, créer un habillage
- penser à une fin dès le début (pour une série), l’annoncer aussi dès le début
- lui donner un nom…
Bref penser son podcast comme un produit éditorial à part entière.
Les différents traitements éditoriaux
A l’heure actuelle, la presse écrite privilégient largement trois types de traitement du son. En général parce qu’ils sont moins coûteux et relativement simples à produire selon le contenu qu’on veut rendre évidemment : Une histoire racontée avec des extraits d’archives et d’interviews sera coûteuse à réaliser en terme de temps. La même histoire dans la voix d’une seule personne évitera des recherches de documents sonores souvent longues, elle sera plus rapide et simple à monter et prendra donc moins de temps.
1/ l’interview
En pratique, c’est souvent l’enregistrement de la personne que le journaliste interviewe déjà pour le journal ; ou il passe un coup de fil et enregistre un interlocuteur.
Avantages :
– la prise de son est plus simple à réaliser (tous les journalistes de presse écrite ne ne savent pas enregistrer du son, une formation assez courte peut leur donner les bonnes bases de la prise de son et de la direction d’interview)
– le formatage réduit au maximum le montage et le temps de production
– la mise en ligne est de fait plus rapide et ne nécessite que peu de compétences techniques spécifiques
– ça permet de traiter de l’actualité chaude rapidement
Attention à cette facilité et à la rapidité mise en avant car pour être qualitative, et pas seulement une illustration sonore d’un fait énoncé ou déjà écrit, l’interview demande de la préparation et de se documenter sur ses interlocuteurs et sur le sujet traité. Elle nécessite aussi une prise de son de qualité pour ne pas fatiguer l’auditeur, surtout si elle dure un peu.
2/ le plateau ou talk
Le principe est simple : un rassemblement des rubricards autour de micros qui discutent de l’actualité ou d’un sujet donné, avec un fil conducteur plus ou moins défini.
Avantage :
– il est peu coûteux et ne nécessite pas la recherche d’interlocuteurs spécifiques
– l’enregistrement en conditions du direct permet de réduire le montage
– il valorise les compétences des journalistes sur leurs sujets d’expertise
Pour que ça fonctionne et éviter l’effet brouillon, il convient de cadrer le débat, créer des moments et du rythme, avoir une animation dynamique et fluide. Et l’animation n’est pas innée (même pour les journalistes très bavards).
3/ la chronique, le flash, l’histoire racontée
Une personne donne les dernières informations dans une courte durée (flash), ou explique un fait d’actualité (chronique), ou encore raconte une histoire en y mettant un ton particulier.
Avantages :
– le gain de temps
– le faible coût de réalisation et production (variable selon la complexité éditoriale qu’on veut atteindre)
– le formatage simple à établir
– création d’un rdv à moins coût
Les meilleurs histoires racontées sont, selon moi, celles de Pierre Bellemare (je ne suis pas du tout objective puisque c’est mon souvenir d’enfance du mercredi midi, merci Europe 1). Un modèle du genre en terme de narration, basée sur un énorme travail de documentation et un talent de conteur hors du commun expliquent leur succès. Cela dit, on peut raconter des histoires de manière incroyablement captivante et différemment, comme la série Serial. Cette fois en incluant des interviews, des archives, le tout sorti d’un gros travail d’enquête. Ce qui demande du temps et des compétences techniques.
4/ Enfin, le reportage (en extérieur) est encore peu utilisé par les journaux de presse écrite (exception faite de L’Yonne Républicaine et La République du Centre). Il nécessite des compétences pour assurer la qualité de l’enregistrement, et une bonne technique d’interview pour éviter de rentrer avec des rushs interminables. Il faut également bien préparer son sujet en amont, identifier les interlocuteurs, prendre les rendez-vous… Il réclame donc plus de temps (préparation, déplacements, prises de son, montage, mixage) que les trois formats pré-cités (s’ils sont faits dans leur forme la plus simple).
Associer le marketing et les commerciaux au projet
De nombreux podcasts sont lancés discrètement sur les sites des médias qui n’en font pas nécessairement la promotion. Ils sont dans une démarche de tests et n’ont pas toujours envie qu’on découvre les premiers essais parfois un peu brouillons.
Mais une fois le produit audio abouti, il faut en faire la communication en amont pour éviter qu’il ne passe sous le radar des internautes-auditeurs-internautes. Il convient également d’associer le marketing et les commerciaux qui vendront ce nouveau support même si à l’heure actuelle, la monétisation (prometteuse) reste balbutiante.
Après le lancement du podcast, les chiffres d’audience devraient être partagés entre la rédaction et le service marketing/commercial, et non pas conservé par l’un au détriment de l’autre.
De nombreux podcasts vont sortir dans les mois à venir. Il sera intéressant de voir lesquels trouvent leur public, notamment en PQR. D’autant plus que si l’approche des journaux diffère, le son de cloche est souvent le même :toucher un public différent et être prêt pour l’arrivée des assistants vocaux.
L’étape d’après, une fois le format podcast maîtrisé, sera d’imaginer des contenus plus personnalisés, plus immersifs et/ou plus interactifs. Pourquoi pas aussi des contenus à usage collectif si on vise les enceintes connectées dans la maison, contrairement au podcast qui génère une écoute individuelle.
Deux autres articles sur les podcasts et la presse écrite sont à lire par ici :
– Podcasts et presse écrite : 6 bonnes raisons d’y aller
– Podcasts et presse écrite : comment les financer et gagner de l’argent ?
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